Rencontres

Famille(s) de voyageurs

En partant au bout du Monde, on espérait bien faire quelques belles rencontres. Rencontrer d’autres cultures, d’autres visions du monde. Il y a bien ces rencontres marquantes, mais celles que je n’avais pas imaginées, pas anticipées, ce sont celles avec les autres voyageurs. Parce qu’on est loin du pays, loin de notre langue, il est plus facile de rentrer en contact avec nos compatriotes au bout du monde. Et comme on partage la même façon de voyager on a vite des points communs. Ainsi, depuis 9 mois, on s’est fait quand même pas mal de copains de voyage…

Les familles sont particulièrement marquantes. Je citerai juste Inès et Benoît, avec qui nous avons partagé le réveillon de Noël alors que nous nous sommes rencontrés le matin même, Niko Joana et leur petit Mani que nous allons retrouver avec qui nous avons partagé les plages du Costa Rica, du Mexique et bientôt de Crête, Les 8 Pieds sur Terre, nos compagnons de volcans que nous n’aurons malheureusement pas réussi à recroiser dans nos boucles (parfois à quelques jours près), les Tandems, les plus balèzes des voyageurs, à cheval sur leurs 2 vélos qui descendent l’Amérique envers et contre tout, les 5 couleurs primaires qui ont bravé 3 fois de suite le confinement colombien pour profiter des soirées ensemble et qu’on aura aperçu, le temps d’un selfie, derrière la vitre d’aéroport des Galapagos, et les Gnocs around the Word, avec qui on aura passé une semaine de vacances au Paradis, à partager une maison comme de vieux potes…

 Il y en a 3 autres qui font aussi partie de la tribu. Kamel et Justine qu’on a croisés plusieurs fois du Guatemala au Mexique, et l’ami Seb rencontré en même temps, croisé plusieurs fois aussi, et qu’on a retrouvé par « hasard » à Merida.

 Tous ceux là ce sont rencontrés ailleurs, sans nous, avant ou après notre rencontre, dans la grande trame du voyage. Nous avons vu des photos des uns avec les autres et on s’échange régulièrement des nouvelles.

 Je m’étonne de ce lien fort qui nous a unis. Est-ce juste notre goût du voyage, ou les conditions particulières de cette année, qui font de nous une grande tribu ? Mais on a croisé d’autres personnes et d’autres familles dont nous n’avons pas gardé de contact ou avec qui nous nous sommes juste croisés.

 Nous avons partagé des moments forts avec eux, de grandes discussions, de longs jeux pour les enfants et toute la banalité des temps creux de voyage dont nous ne parlons jamais. Nous avons partagé les interrogations de la suite du programme, les bons et les mauvais plans, sur la route de chacun.

 Les enfants ont l’impression d’avoir gagné de nouveaux cousins et moi des personnes qui me sont chères. Je me demande si nous n’avons pas juste rencontré des humains débarrassés de leur manteau social alors que nous avions posé le nôtre aussi. Un rapport d’âme à âme un peu plus direct que d’habitude.

 Rentrés à Madrid, colonisée par les Français en ce weekend de l’Ascension, comment expliquer à Faustine qu’on ne parle pas aussi facilement aux autres francophones que ce que nous faisions jusqu’à maintenant ? Le regard interrogateur des gens qui nous suivent dans la file d’entrée du Prado en dit long… Nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde, celle qu’on partageait avec nos voyageurs du bout du Monde… Retrouverons-nous de tels contacts dans les quelques mois de voyage qui nous restent ? Est-ce possible ici aussi ?

 Si l’un d’entre vous, mes voyageurs, lit ce bout de texte, je vous remercie du fond du cœur de nos échanges, de notre rencontre, de ce petit bout de toi que tu m’as échangé contre un petit bout de moi… Ce petit bout de toi, j’en prendrai soin, promis !

José, Raul, Paula et les autres…

Nous montons un petit point de vue, à Guadapé. Le mirador San José. Et comme le hasard fait toujours bien les choses, nous rencontrons un jeune homme, José, 19ans. Vénézuelien, il est venu en Colombie il y a 5 ans. L’année dernière sa mère et son frère l’on rejoint ? Aujourd’hui, il leur montre cette balade, qu’il aime bien faire le matin, au pas de course, avant d’aller travailler. Au Vénézuela, la famille de José avait une vie qui semblait confortable… 3 maisons, du travail pour tous… C’était le temps d’avant. Le temps d’un état hyper interventionniste, de la grande idéologie socialiste et des rois du pétrole. Et puis est venue la crise pétrolière, crise économique, sanctions financières des Etats Unis, embargo pétrolier, des manifestations violentes et de dures répressions, un gouvernement très rigide… Alors le père de José à quitté son pays pour le pays voisin, la Colombie, avec son fils ainé. Pour lui offrir une éducation décente, du travail, plus tard. Ils ne récupèreront sûrement jamais les biens qu’ils ont laissés dans leur pays.

 Il y a quelques temps, José a rencontré une Allemande. Ils sont venus ensemble en Europe. Il nous dit que ce voyage, ce changement de culture, lui a ouvert les yeux. Il aimerait pouvoir voyager aussi facilement que nous le faisons… Mais tous les passeports ne se valent pas, malheureusement… Alors il est devenu guide, en Colombie… Et le covid est arrivé. Il passe ainsi de petit boulot en petit boulot et rien n’entame son sourire.

 Nous sommes choqués d’entendre ce témoignage souriant de la dictature vénézuélienne, sur une situation que nous méconnaissions complètement. Ce ne sera que le premier de notre voyage colombien.

 Raul est parti aussi, l’année dernière. On lui a volé son passeport, quelques jours avant qu’il ne passe la frontière, mais ça ne l’a pas empêché de partir… Alors il reste au calme, à la campagne, pour ne pas se faire remarquer. Il semblerait que la Colombie protège un peu les réfugiés qui sont là depuis un moment. Raul doit avoir 25ans, il a le regard clair, rieur. Il prend soin des hôtes qui viennent dans la guesthouse qui l’héberge. Sa chérie, Paula, l’a rejoint aussi il y a 3 mois. Sur son bras, un tatouage : « gone » avec un cœur… Elle aussi est « partie », peut-être définitivement…

Combien sont-ils ainsi exilés ? Quels sentiments cachent leurs sourires, leur chaleur, leur bienveillance ? José nous a montré amicalement le chemin de notre balade, Paula et Raoul nous ont choyés… Ils n’ont plus grand-chose et pourtant leurs sourires nous ont charmés…

A Bogotá, nous rencontrerons aussi des Vénézuéliens peintres sur billets. Le bolivar, leur monnaie, ne vaut tellement rien, qu’ils s’en servent de support de peinture… Nouveau prétexte pour parler de leur situation, pour échanger… Et toujours ces sourires cachent-misère qui les illuminent…

 On nous avait dit que l’immigration massive (plus d’un million de personnes) du Venezuela créait des problèmes en Colombie. On peut le comprendre. Comment peut-on diriger un pays et voir ses ressortissants fuir sans se remettre en question ? Et nous que pouvons nous faire pour ces gens ?

 Nous mesurons juste, une fois de plus la chance que nous avons, d’avoir cette nationalité, ce passeport, qui font que pour nous tout est beaucoup plus facile… Il ne faudra pas l’oublier quand je perdrai mon sourire pour de petites déconvenues… Continuer de sourire. Je le leur dois !

Cédric

Cédric passe environ 6 mois par an au Guatemala… pour l’instant. Charpentier et naturopathe il travaille quelques mois en France puis revient sur le terrain qu’il a acheté il y a quelques années pour continuer sa construction.  Elle prend du temps, sa construction, car Cédric aime faire les choses bien. Plus que ça même, il a imaginé le plan global de son terrain comme une fleur de vie, la première maison qu’il a construite est proportionnée au nombre d’or, la douche est enroulée dans une spirale de Fibonacci et beaucoup de détails sont cachés pour qui n’est pas initié… Autant dire que je me régale à l’écouter me présenter son projet.

Cédric me montre aussi son temazcal, sa hutte de sudation. Elle ressemble tellement à la nôtre !

Nous passons un peu plus d’une journée ensemble à poser son parquet. Faustine et Gab aident aussi en dessous de nous, à la mesure de leurs moyens. En fin de journée, un de ses ouvriers dit qu’il a mal à la tête.  « Mais pourquoi tu ne me l’as pas dit plus tôt ?! » Et hop, il sort un sac plastique plein de plantes et lui fait des recommandations en lui donnant quelques feuilles d’une plante locale…
Être naturo en France est une chose, mais connaitre les plantes médicinales d’un autre pays en est une autre !

Ce qui m’a plu, chez Cédric, c’est qu’on le sent à sa place. Nous avons rencontré beaucoup de gens depuis 6 mois, dont certains se sont installés dans d’autres pays. Ils m’ont paru un peu déracinés. Au contraire, pour Cédric, c’est comme s’il était héritier d’un savoir local. Il a appris il y a peu que la dernière propriétaire du terrain était la dernière « femme médecine » du village. Un savoir faire un peu perdu, parce que l’occidentalisation a considéré ces pratiques comme vieillottes (alors que chez nous, nous allons les rechercher maintenant…). C’est avec émotion qu’il me parle aussi d’un vieux guérisseur Itza, ces Mayas qui ont résisté si longtemps aux Espagnols. Avant qu’il meure, la dernière fois qu’il l’a vu, cet homme lui a offert un livre recensant toutes les plantes médicinales connues par son peuple. Quel cadeau !

La rencontre avec Cédric m’a beaucoup touché. J’ai eu l’impression de rencontrer un frère. Il a 42ans, va devenir grand-père dans quelques semaines. Nous avons des vies extrêmement différentes et pourtant nous nous sommes sentis vraiment proches dans les quelques jours que nous avons partagés…

Daniel

 Nous avons rencontré un explorateur, un vrai… Un vieux monsieur français de plus de 70ans qui vit tranquillement aujourd’hui dans sa propriété au nord du Guatemala, dans laquelle il loue des chambres assez cossues. Sa vie d’aujourd’hui ne laisse pas voir grand-chose de ce qu’il a été…

En 68, « après avoir jeté quelques pavés à Paris » comme il dit, il est parti au bout du Monde avec son matériel de spéléologie. Direction le Guatemela, où il y aurait plein de grottes à découvrir, de ce qui se disait à cette époque…

Pendant des années il parcourt le Guatemala et le Mexique, principalement à pieds et à travers la jungle. En 74, il découvre une rivière souterraine, qui pourrait bien être la rivière sacrée du Xibalbà, le monde souterrain décrit dans le Popol Vuh (la Bible des Mayas). Les quelques endroits où elle ressort sont recouverts de jungle, donc elle restait invisible d’avion et n’était tout simplement pas cartographiée !

Dans notre brève rencontre, nous écoutons les histoires de Daniel les yeux écarquillés, les oreilles grandes ouvertes. Il nous prête aussi un livre qu’il a écrit sur les Mayas. Tout ce qu’il nous dit ou ce que nous lisons montre son intérêt, au-delà des découvertes souterraines, pour les rencontres qu’il a faites, pour les gens qu’il a connus, au Guatemala ou au Mexique… Une espèce d’Indiana Jones au grand cœur…

Je me souviens qu’adolescent j’aimais aller voir des reportages, dans les cinémas d’Art et d’essai je pense, de « Connaissance du Monde ». Il y avait un documentaire qui était projeté, sur les Mayas, les Egyptiens ou quelque peuple d’Afrique, puis le réalisateur faisait une petite conférence, suivie de questions/réponses. Daniel était de ceux-là. Il revenait régulièrement en France partager ses découvertes à travers ses reportages. Je me plais à imaginer que je l’ai peut-être rencontré il y a 25ans… Il a même formé des équipes sur place apprenant à de jeunes « indigènes » (comme ce mot me gêne… ) à filmer ou à éclairer une scène. On est loin, je pense, de l’esprit conquérant avec lequel sont venus tant d’occidentaux ici…

Voilà, j’idéalise peut-être un peu Daniel, tant sa façon de voyager est loin de la nôtre, nous qui restons quand même sur des sentiers touristiques bien balisés. Je n’hésite pas à lui faire part de ma vision des choses, ce à quoi il me répond que voyager en famille est aussi une véritable aventure… Ces mots resteront un bel appui, les jours de dépression où ce voyage me semble assez vain…

Nous sentons que Daniel aurait encore plein d’histoires à nous livrer. Nous nous promettons de nous revoir, quand nous rentrerons en France. Son pied à terre en France n’est « qu’à 3 h » de chez nous. Vu d’ici, ce n’est pas grand-chose ! Il n’y revient plus souvent, beaucoup de ses amis étant « déjà partis se reposer ». Espérons que nos routes se recroiseront avant le « grand repos », alors !

double rencontre , tabarnak !

On peut en faire des voyages dans un voyage... Il suffit d'un accent, d'un compagnon de voyage qui nous raconte son histoire et l'atmosphère se transforme...

 C'est le charme des guest-houses, aussi. On se retrouve ensemble après des années de route. Tout le monde est là à 5h du soir et on s'assoit à table à discuter avec un Québécois, une Israélienne, une Américaine, des Suisses et une Kazakhstanaise... Chacun raconte son voyage et ses plus belles aventures.

 Yannick nous salue, donc, de son joli accent qu'ont nos cousins du Québec. Il est parti pour plusieurs mois de voyage sur son bicycle. Voyageur invétéré, il ne compte plus les milliers de kilomètres parcourus en pédalant. Il rentre au pays de temps en temps pour bosser comme paysagiste. En ce moment, les paysages sont blancs, donc ils n'y a pas de travail pour les paysagistes...

Pour démarrer son voyage au Costa Rica, il est tombé de vélo. L'accident bête. Du coup il attend quelques jours, obligé de se poser le temps qu'une vilaine blessure à la main cicatrise. Mais c'est ben correct, il a son tee trea, sa consoude pis sa calendule, il guérira vite !
Je l'envie d'avoir ainsi le temps... Le temps de vivre, d'être libre... Même s'il est seul...

 Il nous parle de sa copine Sophie qui vient d'ouvrir un "café" ici et qu'il est venu visiter. Nous nous retrouvons d'ailleurs tous sur le chemin de la plage.

 - Alors comme ça , t'as ouvert un bar ?
- Quel bar ? C't'un café, qu'j'ai ouvert, veux tu dire !

Oups... Un café qui n'est pas un bar. Intéressant ! Il faut qu'on aille voir ça. Le lendemain, avant de repartir nous nous arrêtons chez Sophie prendre une petite collation.

Le "café" est directement chez elle, dans sa cuisine. Il y a quelques tables dehors, des livres, des jeux. L'ambiance est chaleureuse et la conversation de la veille reprend.

Sophie et son cheum avaient envie de bouger et d'oublier un peu les hivers rudes de là haut. Ils ont tout vendu et sont partis à l'aventure fin 2019, avec leurs 2 garçons. Ils pensaient voyager en Amérique latine pour voir où ils pourraient s'installer. Ils ont loué une première maison au Costa Rica, près des vagues pour surfer, pendant un mois. La pandémie les a arrêtés là. Alors, quitte à être bloqués, autant en profiter. Elle a monté son café où on ne trouve que des bonnes choses. Tartines, smoothies, houmous ou toasts d'avocats, tout à l'air trop bon !

Rapidement, la conversation s'oriente sur l'école. Les garçons ne font pas l'école à la maison, ils font du homeschooling. L'école de la vie.
Nous, cette année, pour les enfants, nous suivons un programme. L'idée est quand même qu'ils réintègrent l'école à la rentrée prochaine. Mais quand il n'y a pas de rentrée, pas de programme, comment on fait ?

En France, on en a beaucoup entendu parler dernièrement. L'état veut interdire ces pratiques. Ces familles ne demandent qu'à être libre d'enseigner à leurs enfants comme elles le souhaitent. C'est un sacré engagement que de prendre en charge l'éducation complète d'un enfant, sans se décharger sur une institution. C'est tous les jours, presque toutes les heures.

Nous avions vu un super documentaire (clic clic) sur le homeschooling il y a quelques temps et nous avons déjà rencontré quelques adultes qui ont connu cette expérience enfants. Ce sont vraiment de belles personnes aujourd'hui ! Bien loin de ce qu'on voudrait nous faire penser...

Voilà, nous devisons de tout ça avec Sophie, dans sa cuisine-café qu'elle a ouvert pour quelques mois ou quelques années, avec un petit vent de liberté et un accent chantant qui nous transporte dans la Belle Province...

Anthony

Imaginez une nuit de pleine lune, un village en bord de mer, des cocotiers, ambiance Caraïbes... Un homme noir, marche sur le sable. Il est torse nu, La lumière de la lune souligne ses muscles dessinés. Il pause sa main au sol. « Non, elles ne sont pas prêtes »... Ce soir, Anthony cherche les bébés tortues qui vont peut être sortir. Mais il a plu aujourd’hui, le sable est trop dense pour des petites nageoires toutes neuves...

Soudain il s’arrête. Là, des traces fraîches dans le sable lisse ! Elles sont nettes, reconnaissables entre mille.... « Jaguar » ! Nous voyons Anthony se rapprocher du sol, observer les bosquets, suivre les traces... Il est excité, une femelle et son petit... les traces sont fraiches. Ils ne doivent pas être loin ! Il les traque !

« Si le jaguar sort, surtout ne courrez pas ! Je lui parlerai »... rassurant, un homme qui parle jaguar...
le voilà maintenant qui grogne, qui feule... il marche presque à quatre pattes, semblant danser sur la plage baignée de lumière lunaire... cette lumière qui se reflète soudain dans des yeux. Une ombre dans le noir. Juste deux yeux qui brillent. « The baby! » nous chuchote t’il.... « ouhhh. It’s dangerous »... nous marchons à reculons, nous éloignant de la lisière de la jungle pour longer la mer, la femelle doit être proche en train de veiller...

un peu plus loin, une autre ombre, tapie au sol. 2 autres points de lumière, 2 yeux qui regardent ces étrangers sur son territoire... « the mom »... qui observe qui ? Légère tension. Nous rentrons  vers le village. Troisième paire d’yeux qui nous surveillent... la famille est au complet... Anthony est surexcité. « You are so lucky! You met 3 jaguars tonight ! »

Revenus  sous les lumières électriques, Anthony boite alors qu’il dansait presque, d’un pas si léger sur le sable... Il nous montre ses pieds abîmés, nous raconte sa vie difficile...Anthony est plus a l’aise dans la nature qu’avec les humains... Nous lui donnons quelques colons pour qu’il puisse étancher la faim qui le tenaille depuis trois jours.
Anthony vit a l’écart, reste dans l’ombre, comme un personnage presque irréel. Il m’appelle « hermanito », peut-être parce que je lui ai fait confiance ce soir, peut-être parce que je l’ai juste considéré comme un être humain, peut-être parce que je l’ai rêvé... 

Mathilde

Mathilde a 9ans.
Elle est Française mais depuis 2 ans elle vit au Costa Rica. Ses parents ont décidé de venir vivre au soleil. Ils ont racheté un hôtel cabinas, des chambres familiales avec une cuisine commune et un bar. C’est chouette, mais du coup ils n’ont pas beaucoup de temps et ils n’ont pas tellement visité le pays...

Mathilde va a l’école locale. Quand il y a école ... parce que depuis le mois de mars, tous les enfants du Costa Rica font école a la maison, avec quelques cours en visio. Ça laisse beaucoup de temps pour jouer, surtout dans la piscine. « il lui a presque poussé des branchies » dit son père ! Alors nous avons passé du temps avec elle dans l’eau, les enfants à jouer et les adultes à papoter. Ah oui, Mathilde, elle discute beaucoup qu’on soit grand ou petit. Elle est sociable Mathilde, elle sait écouter les autres, calmer le jeu quand Il commence a y avoir des disputes fraternelles et même gérer les clients à sa façon.

Je l’ai entendue répondre a un client qui se plaignait d’avoir des fourmis dans la chambre, alors que ses parents étaient absents. Du haut de ses neuf ans, elle lui a rappelé qu’on est dans la nature, c’est donc normal de vivre avec les animaux... on lui avait dit de ne pas laisser de nourriture dans la chambre. Le client est reparti, un peu gêné que la jeune génération lui fasse la leçon...

et Mathilde parle Espagnol. nous avons eu le droit à un cours dans le jacuzzi. Quand elle est arrivée, elle ne parlait pas un mot. En quelques mois elle est devenue bilingue, ça semble si facile pour les enfants ! Son frères dit qu’elle ne parle pas très bien, mais je vous jure que si vous l’entendez, vous imaginez qu’elle pratique depuis des années !

Mathilde nous a dit qu’elle était trooooop contente qu’on vienne dans son hôtel. Elle n’avait pas vu d’enfant depuis un moment, et pas de Français depuis des mois ! Au moment de partir Faustine lui offre un gros oursin magnifique qui ne peut pas faire le voyage avec nous. Elle est émue, elle n’en avait jamais vu (On l’a pourtant ramassé sur une plage toute proche). En retour elle offre aux enfants des bracelets brésiliens, comme Faustine lui a appris à en faire, et quelques souvenirs d’enfants qui vivent autrement...

Antoine

Antoine c’est retrouvé coincé au Costa Rica par le premier confinement. Alors Antoine est resté… Après quelques temps il a trouvé un bout de terrain, une ferme, et maintenant Antoine fait pousser des bananes.

 Ce p’tit gars de 22 ans a déjà pas mal voyagé. Il n’a pas pris le temps de faire des études, il a dit à ses parents qu’il allait partir en bateau. Personne le croyait, il n’avait pas d’argent et ne savait pas naviguer. Mais voilà. Il a foi en ses envies. Il a trouvé l’argent, puis le bateau. Il a vécu et voyagé comme ça pendant 2 ans.

 Malheureusement, le bateau s’est abîmé en Grèce. Alors il a changé de cap. Il a d’abord travaillé dans un centre de plongée le temps de réparer son navire, puis est reparti vivre d’autres aventures, au Costa Rica, donc.

 Il nous décrit la maison, les serpents et les pumas qu’il croise de temps en temps, l’arbre immense sur son terrain, dans lequel il voudrait faire une cabane. Il explique qu’il veut accueillir ici des bénévoles pour travailler sur sa ferme et leur montrer qu’on n’est pas obligé de trimer pour s’en sortir mais que l’on peut gagner sa vie et en faire une fête quotidienne…

 Nous parlons d’énergie et de toutes ces choses qui me passionnent et que je lui présente, comme mon ami Patrick l’avait fait pour moi…

 22 ans. Il a déjà compris tellement de choses. Vécu tellement d’aventures fortes ! Sa vie promet d’être belle et intense !

Donato

Le voyage a été long jusqu’au Costa Rica. L’avion, le détournement sur Libéria, le retour à San José en bus, nos sacs qui mettront 2 jours à nous parvenir.

 Nous avions pris un airbnb pour notre première nuit costaricienne. Il a fallu le prévenir que nous étions bien dans l’avion, puis du retard, puis de l’annulation de la nuit. Nous communiquons par whatsapp. Donato n’écrit pas, il laisse des messages vocaux. Et chaque message finit par « bisous, bisous ». Pour lui il n’y a pas de problème. « Ne vous inquiétez pas, je serai là ! Bisous bisous »

 Arrivant enfin à l’aéroport de San José le lendemain, Donato est là. Il arrive dans un vieux 4x4. « Allez, c’est fini, enlevez-moi ces masques pour que vous puissiez respirer ! »

Donato est volubile comme un Italien qui se respecte. Il parle Français. D’origine italienne, il a vécu en Suisse, puis au Québec, dont il gardera l’accent et les jurons si caractéristiques. Il s’arrête au milieu de la route pour invectiver des gens qu’il connait sur le trottoir, dans un espagnol local qu’on en croirait qu’il est Tico.

 A peine arrivés, Donato nous prépare des pâtes à la bolognaise, pour nous remettre, mais jure de nous sortir à coup de pieds au derrière si on coupe les spaghetti.

 Il s’inquiète de savoir si tout va bien, s’occupe de trouver des habits pour tous les 4 et de laver les nôtres qui ont vécu le voyage. Il m’emmène faire des courses.

 Quand il croise quelqu’un, il sort sa carte de visite. Il garde des chiens, loue des voitures, reçoit des voyageurs, fait des stucs et des fresques à l’italienne dont il est très fier. Dans le temps, il avait même une boulangerie.

 Il nous aura appris  à jouer au backgammon, son jeu préféré, loin des écrans de téléphone qu’il déteste. « Allez cette partie je te dis plus rien » et deux minutes après, « fais gaffe, tu devrais plutôt jouer ça, sinon je vais te coincer !». On aura joué un peu de musique. Il adore ça, surtout quand il le partage. « C’est fait pour ça la musique, pour passer un moment ensemble, pas pour jouer dans ses chiottes ! »

 Voilà, il est entier, Donato. Il joue dans sa vie et c’est une joie de le voir faire !

 Si vous passez à San José, allez passer une nuit ou deux chez lui. Vous entrerez dans une petite bulle de bonheur !

Anne

 Anne est médecin. Mais est-ce ce qui la caractérise ? Anne écrit de la musique. Anne est hyper sportive. Anne est indépendante…

Nous ne connaissons pas Anne, nous ne la connaitrons pas plus qu’un court échange dans les montagnes de Corse. Elle vient de s’installer dans un petit village, au calme, pour l’hiver. Elle travaille comme médecin remplaçant pour l’été, puis se retire au calme, en vivant sobrement le reste de l’année. Elle a oublié son chargeur de portable à Porto Vecchio. 1000 m de dénivelé ne lui font pas peur, elle fait l’aller-retour dans la matinée pour aller le chercher ! C’est que c’est un vieux téléphone, donc un chargeur particulier comme on n’en trouve plus !

Nous parlons de notre voyage, bien sûr, et de plongée aussi. Elle en a fait pas mal à Tahiti, pendant son internat. Elle a détesté Tahiti. Tellement surfé. Les médecins expats qui flambent, le contraste avec la pauvreté locale…

Anne cherche aussi à récupérer le piano qu’elle a acheté à Bastia. Elle vit avec un vélo et un sac à dos. Rien de plus. Ah si, un piano maintenant qu’elle doit aller chercher à l’autre bout de la Corse. Elle trouvera bien un co-voiturage, ou une voiture qu’on lui prêtera. Anne a confiance.

Je pense souvent à Anne, qui doit être en train d’écrire quelque mélodie dans ses montagnes, dans cette maison sommaire, avec au cœur son plus grand trésor.
Anne est libre !

Yvan

Il y a longtemps que j’avais entendu parler d’Yvan. Je connais sa chérie, certains de ses amis. Je sais que c’est un intime de la Nature, comme peu de personnes. J’ai entendu dire qu’il avait créé un petit sanctuaire, en pleine nature, qui m’intéresserait beaucoup. Disons que nous avons des intérêts pour les mêmes sujets ! ;)

Le hasard des voyages nous a poussé près de chez lui. Tout près. Chez ses voisins. Une après-midi nous décidons avec Claire d’aller voir s’il est chez lui, de nous signaler, de proposer de se voir. Quand nous arrivons devant son habitat collectif, deux hommes discutent. L’un est sur le point de partir, l’autre le salut. Nous nous approchons, nous présentons et demandons si Yvan habite bien ici.

-C’est moi, répond-t ’il !

Il semblait nous attendre, sur le bord de la route. Pendant quelques secondes, son regard perçant nous sonde. Quelques secondes, seulement, et ses yeux vifs deviennent doux. Oui, il a le temps de nous accueillir, de nous emmener voir son sanctuaire. Le lieu vibre d’une énergie incroyable. Les arbres qu’il a plantés nous transportent ailleurs, malgré leur jeune âge. Pendant plus d’une heure, il nous les présente de sa voix calme et chaude.

En revenant, nous retrouvons sa compagne. Après un long échange, de nouveau sur le bord de la route, nous nous quittons en nous embrassant. Comme de vieux amis…

C’est établi, nous nous reverrons !

Gilbert

Il faut toujours se méfier des apparences, on risque parfois de rencontrer de grands sages qui ont l’air de gens simples. C’est le cas de Gilbert. Ce monsieur d’âge respectable, à la retraite depuis pas mal d’année, semble presque naïf. Bénévole impliqué dans un centre social, ouvert aux autres, toujours prêt à aider. Je le vois tout le temps sourire, qu’il bêche, vide le compost ou prenne le temps de discuter.

Au détour d’une conversation, il me dit qu’à 50ans il se sentait vieux. Tout était très ordonné chez lui. Il fallait toujours le prévenir à l’avance et tout changement lui posait une vraie contrariété. Et puis il a décidé de changer. Il a pris conscience qu’il voulait profiter du moment présent. Il a vendu toutes ses affaires, à part un lit, une étagère et 3 cartons, me dit-il. « J’ai mis 10 ans pour me séparer de tout, mais je voulais être libre de pouvoir dire oui à toute proposition ! »

Ah oui, autre élément, Gilbert jeûne un jour sur deux. Problèmes de diabète depuis des années. Il a découvert, à travers les médecines alternatives, qu’il n’était pas obligé d’être esclave de médicaments toute sa vie. Grâce à son régime il est revenu à un état de glycémie stable et normal.

Dans quelques semaines, Gilbert va s’installer dans un habitat collectif, dans une caravane. Il n’a pas encore la caravane mais ne s’inquiète pas. « Je sais qu’elle va venir, au bon moment. C’est toujours comme ça ! » et d’ajouter « avant je voulais profiter du moment présent, mais maintenant je veux vivre le moment présent ! »

Huma

L’été dernier, en 2019, j’ai fait un rêve. Au réveil, le souvenir est vague, mais je me souviens qu’il était question de bleuets. Les bleuets de Cobonne. Peu d’autres éléments me restent de ce rêve, juste cette expression, comme un titre de roman, une clé pour plus tard, « les bleuets de Cobonne ». Quelques jours après ce rêve, j’ai eu l’occasion d’aller me promener autour de ce petit village, juste au-dessus de la vallée de la Drôme.

Une année est passée, ce songe est retourné dans les méandres de mon esprit. Un nouvel été arrive enfin après les préoccupations de la préparation de notre voyage et les perturbations de la Covid.

Un matin de nos vacances, alors pour quelques jours dans une ferme à Cobonne, nous nous retrouvons à la table de petit déjeuner avec une femme médecine, qui a suivi la voie des Heyoka, ces clown-shamans amérindiens qui font tout à l’envers. Nous l’avons rencontrée la veille dans la pénombre du soir et avons parlé de notre grand projet qui arrivait. Le matin, nous échangeons sur tout et rien, nous trouvons des points qui nous rapprochent, nos « transports en commun », comme dit mon ami Juan. Soudain, cette femme aux longs cheveux roux nous regarde intensément de ses grands yeux verts.

- J’ai rêvé de votre voyage, dit-elle. Vous m’avez impressionnée, vous portez ce voyage en vous et ce projet est juste. Souvenez-vous seulement qu’il faudra toujours sentir l’énergie du moment et accorder les vibrations de votre voyage avec les vibrations du Monde. Ainsi vous passerez entre les gouttes.

Le reste de la discussion nous appartient. Ecoutant ses mots et ses conseils, mes yeux se baissent sur la tasse de son thé. La tasse n’est pas très belle mais elle porte un dessin qui m’accroche et me ramène au monde des rêves. Sur sa tasse son peints des bleuets…. Les bleuets de Cobonne. Je sais que cette discussion sera importante pour notre aventure, un rêve me l’a dit…